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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/62

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LES ROUGON-MACQUART.

flot de paroles dont elle l’accueillerait, les bruits irrités de vaisselle qu’il entendrait l’après-midi entière. Quand il eut traversé les Artaud, sa peur devint si vive, qu’il hésita, pris de lâcheté, se demandant s’il ne serait pas plus prudent de faire le tour et de rentrer par l’église. Mais, comme il se consultait, la Teuse en personne parut, au seuil du presbytère, le bonnet de travers, les poings aux hanches. Il courba le dos, il dut monter la pente sous ce regard gros d’orage, qu’il sentait peser sur ses épaules.

— Je crois bien que je suis en retard, ma bonne Teuse, balbutia-t-il, dès le dernier coude du sentier.

La Teuse attendit qu’il fût en face d’elle, tout près. Alors, elle le regarda entre les deux yeux, furieusement ; puis, sans rien dire, elle se tourna, elle marcha devant lui, jusque dans la salle à manger, en tapant ses gros talons, si roidie par la colère, qu’elle ne boitait presque plus.

— J’ai eu tant d’affaires ! commença le prêtre que cet accueil muet épouvantait. Je cours depuis ce matin…

Mais elle lui coupa la parole d’un nouveau regard, si fixe, si fâché, qu’il eut les jambes comme rompues. Il s’assit, il se mit à manger. Elle le servait, avec des sécheresses d’automate, risquant de casser les assiettes, tant elle les posait avec violence. Le silence devenait si formidable, qu’il ne put avaler la troisième bouchée, étranglé par l’émotion.

— Et ma sœur a déjeuné ? demanda-t-il. Elle a bien fait. Il faut toujours déjeuner, lorsque je suis retenu dehors.

Pas de réponse. La Teuse, debout, attendait qu’il eût vidé son assiette pour la lui enlever. Alors, sentant qu’il ne pourrait manger sous cette paire d’yeux implacables qui l’écrasaient, il repoussa son couvert. Ce geste de colère fut comme un coup de fouet, qui tira la Teuse de sa roideur entêtée. Elle bondit.

— Ah ! c’est comme ça ! cria-t-elle. C’est encore vous qui vous fâchez. Eh bien ! je m’en vais ! Vous allez me payer