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LES ROUGON-MACQUART.

— Que le diable te prenne, fille de bandit ! Je te traînerai par les cheveux autour de l’église, si je t’attrape à venir jeter ici tes maléfices !

Un éclat de rire, frais comme une haleine de la nuit, monta du sentier. Puis, il y eut une course légère, un murmure de robe coulant sur l’herbe, pareil à un frôlement de couleuvre. L’abbé Mouret, debout devant la fenêtre, suivait au loin une tache blonde glissant entre les bois de pins, ainsi qu’un reflet de lune. Les souffles qui lui arrivaient de la campagne, avaient ce puissant parfum de verdure, cette odeur de fleurs sauvages qu’Albine secouait de ses bras nus, de sa taille libre, de ses cheveux dénoués.

— Une damnée, une fille de perdition ! gronda sourdement Frère Archangias, en se remettant à table.

Il mangea gloutonnement son lard, avalant des pommes de terre entières en guise de pain. Jamais la Teuse ne put décider Désirée à finir de dîner. La grande enfant restait en extase devant le nid de merles, questionnant, demandant ce que ça mangeait, si ça faisait des œufs, à quoi on reconnaissait les coqs, chez ces bêtes-là.

Mais la vieille servante eut comme un soupçon. Elle se posa sur sa bonne jambe, regardant le jeune curé dans les yeux.

— Vous connaissez donc les gens du Paradou ? dit-elle.

Alors, simplement, il dit la vérité, il raconta la visite qu’il avait faite au vieux Jeanbernat. La Teuse échangeait des regards scandalisés avec Frère Archangias. Elle ne répondit d’abord rien. Elle tournait autour de la table, boitant furieusement, donnant des coups de talon à fendre le plancher.

— Vous auriez bien pu me parler de ces gens, depuis trois mois, finit par dire le prêtre. J’aurais su au moins chez qui je me présentais.

La Teuse s’arrêta net, les jambes comme cassées.