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LES ROUGON-MACQUART.

c’est ton tour. Quand tu me regarderas, avec tes gros yeux ! Il est joli, ton romarin ! il est jaune comme un chardon. Toutes les bourriques du pays ont donc pissé dessus !… À toi, la Rousse. Ah ! voilà du beau laurier, au moins ! Tu as pris ça dans ton champ de la Croix-Verte.

Les grandes filles posaient leurs rameaux sur l’autel, qu’elles baisaient. Elles restaient un instant contre la nappe, passant les branches à la Teuse, oubliant l’air sournoisement recueilli qu’elles avaient pris pour monter le degré ; elles finissaient par rire, elles butaient des genoux, ployaient les hanches au bord de la table, enfonçaient la gorge en plein dans le tabernacle. Et, au-dessus d’elles, la grande Vierge de plâtre doré inclinait sa face peinte, souriait de ses lèvres roses au petit Jésus tout nu qu’elle portait sur son bras gauche.

— C’est ça, Lisa ! cria la Teuse, assieds-toi sur l’autel, pendant que tu y es ! Veux-tu bien baisser tes jupes ! Est-ce qu’on montre ses jambes comme ça !… Qu’une de vous s’avise de se vautrer ! je lui envoie ses branches à travers la figure… Vous ne pouvez donc pas me passer cela tranquillement !

Et se tournant :

— Est-ce à votre goût, monsieur le curé ? Trouvez-vous que ça aille ?

Elle établissait, derrière la Vierge, une niche de verdure, avec des bouts de feuillage qui dépassaient, formant berceau, retombant en façon de palmes. Le prêtre approuvait d’un mot, hasardait une observation.

— Je crois, murmura-t-il, qu’il faudrait un bouquet de feuilles plus tendres, en haut.

— Sans doute, gronda la Teuse. Elles ne m’apportent que du laurier et du romarin… Quelle est celle qui a de l’olivier ? Pas une, allez ! Elles ont peur de perdre quatre olives, ces païennes-là !