Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/327

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les planches sur lesquelles nous nous trouvions.

Alors, de nouveau, nous eûmes le sentiment de notre impuissance. Nous nous étions crus sauvés, et nous appartenions toujours à la rivière. Même, je regrettais que les femmes ne fussent plus sur le toit ; car, à chaque minute, je les voyais précipitées, entraînées dans l’eau furieuse. Mais, quand je parlai de regagner notre refuge, tous crièrent :

— Non, non, essayons encore. Plutôt mourir ici !

Gaspard ne riait plus. Nous renouvelions nos efforts, pesant sur les perches avec un redoublement d’énergie. Pierre eut enfin l’idée de remonter la pente des tuiles et de nous tirer vers la gauche, à l’aide d’une corde ; il put ainsi nous mener en dehors du courant ; puis, quand il eut de nouveau sauté sur le radeau, quelques coups de perche nous permirent de gagner le large. Mais Gaspard se rappela la promesse qu’il m’avait faite d’aller recueillir notre pauvre Aimée, dont le hurlement plaintif ne cessait pas. Pour cela, il fallait traverser la rue, où régnait ce terrible courant, contre lequel nous venions de lutter. Il me consulta du regard. J’étais bouleversé, jamais un pareil combat ne s’était livré en moi. Nous allions exposer huit existences. Et pourtant, si j’hésitai un instant, je n’eus pas la force de résister à l’appel lugubre.