Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/158

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Sans doute, l’œuvre cette fois aidait, poussait l’artiste. Mais Desclée, on peut le dire, y mit encore de son tempérament et élargit ainsi l’horizon de la pièce. C’est que, justement, elle semblait faite pour le personnage, elle le jouait avec toute sa nature. Aussi s’incarna-t-elle dans ce rôle, où elle fut superbe de vie et de vérité.

La mort de Desclée a été pleurée par beaucoup de débutants dramatiques. Nous la regardions tous grandir, avec la joie de constater, à chaque nouvelle création, que nous trouverions en elle l’interprète que nous rêvions pour nos œuvres futures. Nous songions tous à des pièces où nous étudierions notre société, où nous tâcherions de mettre la réalité à la scène. Et nous lui taillions déjà des rôles, parce qu’elle seule nous paraissait moderne, vivant de notre air et exprimant avec exactitude les troubles nerveux de l’époque présente. Elle ne semblait avoir passé par aucune école, elle arrivait avec sa personnalité, sans aucune recette d’attitudes ni de diction. Notre âge vibrait en elle avec une intensité merveilleuse. Je la sentais née pour aider puissamment au théâtre le mouvement naturaliste. Et elle est morte. C’est une perte immense pour nous tous.

On peut dire qu’elle n’a pas été remplacée. Le public ne se doute pas de la difficulté qu’éprouve aujourd’hui un auteur dramatique pour trouver une interprète selon ses vœux, dans une pièce moderne, qui demande la sensation et l’intelligence du temps où nous vivons. Je mets à part la Comédie-Française. Les directeurs disent : « Il n’y a plus d’artiste. » Ce qui est plus vrai et plus triste, c’est qu’il y a bien encore des artistes, mais que ces artistes n’ont pas la flamme