Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/209

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avoir un théâtre à lui et jouer lui-même ses pièces, s’il voulait donner sa pensée tout entière, dans sa verdeur et sa vérité. Les deux plus grands génies dramatiques, Shakespeare et Molière, ont entendu ainsi le théâtre, et ne s’en sont pas mal trouvés. Seulement, cette trinité de l’auteur, du directeur et de l’acteur réunis en une seule personne, n’est pas dans nos mœurs, et tous les essais qu’on a pu tenter de nos jours ont échoué misérablement.

Je suis allé à l’Ambigu avec une grande curiosité, très décidé à m’intéresser au Spartacus de M. Talray. Notez qu’il faut un certain courage pour aborder ainsi le public, quand on est un simple amateur : on s’expose aux plaisanteries de ses amis, aux rudesses de la critique, aux rires de la foule. Il est entendu qu’un auteur qui paye et qui tombe, est doublement ridicule. Châtiment mérité, dira-t-on. Peut-être. Mais j’aime cette belle confiance des poètes qui risquent ainsi tranquillement le ridicule, et qui souvent même l’achètent très cher.

J’arrive et j’écoute religieusement. Il faut vous dire, avant tout, que M. Talray s’est absolument moqué de l’histoire. Son Spartacus est d’une grande fantaisie. J’avoue que cela ne me fâche pas outre mesure. Les auteurs dramatiques ont toujours traité l’histoire avec tant de familiarité, qu’un mensonge de plus ou de moins importe peu. Nous sommes en pleine imagination, c’est chose convenue. Seulement, ce qu’on peut demander, c’est que l’imagination ne batte pas la campagne, au point d’ahurir le monde. Or, M. Talray a une façon de traiter le théâtre très dangereuse pour le public bon enfant, qui vient naïvement voir ses pièces, avec l’intention de les comprendre.