Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/263

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On dit que M. Bertrand avait la tête faible, qu’il n’était pas fait pour être directeur et qu’il a quitté la vie dans un désespoir d’enfant malade. Savons-nous de quelles espérances on l’avait grisé ? Il comptait sûrement sur beaucoup d’appuis, qui lui ont fait défaut au dernier moment. A force d’entendre répéter, dans son milieu, que la littérature dramatique mourait faute d’un théâtre ouvert aux nobles tentatives, à force d’écouter ceux qui vivent d’un idéal nuageux et pleurnicheur, cet homme s’était lancé, en faisant appel à toutes les forces vives, dont on lui affirmait l’existence. On sait aujourd’hui les forces vives qui lui ont répondu. Il n’était pas plus mauvais directeur qu’un autre, il avait mis sur son affiche le nom de Victor Hugo, celui de M. Jules Claretie ; il faisait appel aux jeunes, il était en somme le directeur qu’on avait voulu qu’il fût. Sans doute, à la dernière heure, il aurait pu montrer plus d’énergie devant son désastre. Mais pouvons-nous descendre dans cette conscience et dire sous quelle amertume cet homme a succombé !

M. Bertrand ne s’est pas tué tout seul, il a été tué par les faiseurs de phrases qui se refusent à voir nettement notre époque de science et de vérité, par les chienlits politiques et romantiques qui se promènent dans des loques de drapeau, en rêvant de battre monnaie avec les sentiments nobles. S’il ne s’était pas cru soutenu par tout un gouvernement, s’il n’avait pas espéré devenir le directeur du théâtre de notre République, si on ne lui avait pas persuadé que tous les petits-fils de 1830 allaient lui apporter des chefs-d’œuvre, il ne se serait sans doute jamais risqué dans une telle entreprise. La vérité, je le