Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/286

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faire injurier son despote, le poète l’asseoit sur son trône et le tient immobile et patient, tant que la tirade se développe. Ensuite, il pousse un ressort, et le pantin lâche le fameux : « C’est trop de hardiesse ! » Une seule fois, le pantin tue un homme, non pas parce que cet homme lui dit depuis huit heures du soir des choses excessivement désagréables, mais parce qu’il abuse de sa situation de noble prisonnier et de belle âme pour vouloir lui prendre sa femme. C’en est trop, le tigre est dans le cas de légitime défense.

Je me laisse aller à la plaisanterie. Mais, en vérité, comment prendre au sérieux une pareille psychologie. Voilà le grand mot lâché : Toute cette tragédie, déguisée en drame romantique, est d’une psychologie enfantine. Essayez un instant de reconstituer les mouvements d’âme des personnages, de savoir à quelle logique ils obéissent, et vous arriverez à une analyse stupéfiante. Nous sommes ici dans une abstraction quintessenciée. Ce n’est plus la machine intellectuelle si bien réglée du dix-septième siècle. C’est un casse-cou continuel au milieu de nos idées modernes habillées à l’antique. On est en l’air, partout et nulle part, parmi des ombres qui cabriolent sans raison, qui marchent tout d’un coup la tête en bas, sans nous prévenir. Les personnages sont extraordinaires, mais ils pourraient être plus extraordinaires encore, et il faut leur savoir gré de se modérer, car il n’y a pas de raison pour qu’ils gardent le moindre grain de bon sens. Nous sommes dans le sublime.

Oui, dans le sublime, tout est là. M. de Bornier lape à tous coups dans le sublime. Ses personnages sont sublimes, ses vers sont sublimes. Il y a tant de