Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/288

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une âme comme celle d’Attila. Le despote lui-même, en parlant de l’histoire, dit qu’elle pourra le condamner, mais non pas le connaître.

Dès lors, le poète est libre, il va se permettre toutes les gambades sur le dos d’Attila. Et c’est ainsi qu’il nous a donné ce stupéfiant barbare, qui a des allures de romantique de 1830, qui rappelle ces personnages d’un drame de Ponson du Terrail, je crois, disant : « Nous autres, gens du moyen âge… » Oui, Attila se traite lui même de barbare, parle de l’histoire et de la décadence, prédit tout ce qui doit arriver, porte sur ses actions les jugements que nous portons aujourd’hui. Et il n’y a pas qu’Attila, les autres personnages ne sont également que des chienlits modernes, lâchés dans une action baroque, et s’y conduisant avec nos idées et nos mœurs. Tous les mensonges sont accumulés : non seulement la psychologie de ces marionnettes est absurde, mais encore le drame est d’une fausseté absolue, comme histoire et comme humanité.

Que reste-il ? une fable, un sujet quelconque, auquel un poète dramatique a accroché des vers. Imaginez-vous un arbre planté en l’air, sans racine dans le sol, et dont les bras morts portent des drapeaux. Cela claque dans le vide, et le peuple applaudit.

Dès lors, j’en suis amené à ne plus juger que les vers de M. de Bornier. Je sais des poètes qui se sont indignés. Ils refusent à l’auteur des Noces d’Attila le don de poésie. Cela me touche moins. Au théâtre, dans une étude de caractères et de passions, j’estime que le lyrisme est un don bien dangereux. Mais il est certain que M. de Bornier obtient une étrange cuisine, en passant tour à tour du procédé de Corneille