Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/312

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drame dont ils vont être les acteurs complaisants. Ils deviennent passifs, ils subissent l’action, demeurent où on les place, font un pas en arrière ou en avant, selon les besoins de la stratégie dramatique. Or, rien n’est plus étrange que cette action qu’ils subissent. Il s’agit pour les auteurs de pousser leurs soldats de plomb, de les mettre en face les uns des autres, dans des positions critiques, de faire croire qu’ils sont perdus et qu’ils vont se manger, puis de les dégager le plus habilement possible, en sacrifiant ceux qui sont trop embarrassants, et de dire enfin au public ravi : « Mesdames et Messieurs, voilà comment la farce se joue. Tout ceci n’était que pour vous plaire et vous montrer notre adresse d’escamoteurs. » Peu importent la vie réelle, le développement logique des histoires vraies, la grandeur simple de ce qui se passe tous les jours sous nos yeux. Les hommes d’expérience et d’autorité vous répéteront qu’il faut des situations au théâtre ; entendez par là qu’il faut mener en guerre vos soldats de plomb et vous exercer à les jeter dans des bagarres, pour avoir la gloire de les en tirer sans une égratignure.

Je le dis une fois encore, l’art dramatique ainsi entendu est un art absolument inférieur, qui doit dégoûter les penseurs et les artistes. Je parlais d’une partie de piquet. Mais il est une comparaison plus juste encore, celle d’une partie d’échecs. Les personnages ne sont plus que des pions. MM. Jules Kervani et Pierre de l’Estoile ont pu se dire : « Les blancs font mat en cinq coups. » Et ils ont joué leurs cinq actes. Oui, leurs personnages sont en bois, de simples pièces de buis ; j’accorde, si l’on veut, qu’on les a sculptés et qu’ils ont des figures humaines ; mais ils