Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/59

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cède un peu chaque jour sous les coups de la vérité. Ce spectateur dont je parle plus haut, n’a pas inventé les idées auxquelles il obéit ; il les a au contraire reçues et il les transmettra plus ou moins changées, si on les transforme en lui. Je veux dire que la convention est faite par les auteurs et que dès lors les auteurs peuvent la défaire. Sans doute il ne s’agit pas de mettre brusquement toutes les vérités à la scène, car elles dérangeraient trop les habitudes séculaires du public ; mais, insensiblement, et par une force supérieure, les vérités s’imposeront. C’est un travail lent qui a lieu devant nous et dont les aveugles seuls peuvent nier les progrès quotidiens.

Je reviens aux deux morales, qui se résument en somme dans la question double de la vérité et de la convention. Quand nous écrivons un roman où nous tâchons d’être des analystes exacts, des protestations furieuses s’élèvent, on prétend que nous ramassons des monstres dans le ruisseau, que nous nous plaisons de parti pris dans le difforme et l’exceptionnel. Or, nos monstres sont tout simplement des hommes, et des hommes fort ordinaires, comme nous en coudoyons partout dans la vie, sans tant nous offenser. Voyez un salon, je parle du plus honnête : si vous écriviez les confessions sincères des invités, vous laisseriez un document qui scandaliserait les voleurs et les assassins. Dans nos livres, nous avons conscience souvent d’avoir pris la moyenne, de peindre des personnages que tout le monde reçoit, et nous restons un peu interloqués, lorsqu’on nous accuse de ne fréquenter que les bouges ; même, au fond de ces bouges, il y a une honnêteté relative que nous indiquons scrupuleusement, mais que personne ne paraît