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Page:Zola - Le Naturalisme au théâtre, Charpentier, 1881.djvu/60

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retrouver sous notre plume. Toujours les deux morales. Il est admis que la vie est une chose et que la littérature en est une autre. Ce qui est accepté couramment dans la rue et chez soi, devient une simple ordure dès qu’on l’imprime. Si nous décoiffons une femme, c’est une fille ; si nous nous permettons d’enlever la redingote d’un monsieur, c’est un gredin. La bonhomie de l’existence, les promiscuités tolérées, les libertés permises de langage et de sentiments, tout ce train-train qui fait la vie, prend immédiatement dans nos œuvres écrites l’apparence d’une diffamation. Les lecteurs ne sont pas accoutumés à se voir dans un miroir fidèle, et ils crient au mensonge et à la cruauté.

Les lecteurs et les spectateurs s’habitueront, voilà tout. Nous avons pour nous la force de l’éternelle moralité du vrai. La besogne du siècle est la nôtre. Peu à peu, le public sera avec nous, lorsqu’il sentira le vide de cette littérature alambiquée, qui vit de formules toutes faites. Il verra que la véritable grandeur n’est pas dans un étalage de dissertations morales, mais dans l’action même de la vie. Rêver ce qui pourrait être devient un jeu enfantin, quand on peut peindre ce qui est ; et, je le dis encore, le réel ne saurait être ni vulgaire ni honteux, car c’est le réel qui a fait le monde. Derrière les rudesses de nos analyses, derrière nos peintures qui choquent et qui épouvantent aujourd’hui, on verra se lever la grande figure de l’Humanité, saignante et splendide, dans sa création incessante.