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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/103

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son patron, M. Martelly. Ses appointements étaient trop faibles pour garantir un pareil emprunt. D’ailleurs il connaissait les principes rigides de l’armateur, et il redoutait ses reproches, s’il lui avouait qu’il voulait acheter une conscience. M. Martelly lui aurait nettement refusé l’argent.

Tout d’un coup Marius eut une idée. Il ne voulait pas la discuter avec lui-même, et il se dirigea en toute hâte vers son logement de la rue Sainte.

Là demeurait, sur le même palier que lui, un jeune employé nommé Charles Blétry, qui était attaché comme garçon de recette à la savonnerie de MM. Daste et Degans. Les deux jeunes gens demeurant côte à côte, une sorte d’intimité s’était établie entre eux. Il avait été gagné par la douceur de Charles ; car ce garçon fréquentait assidûment les églises, menait une conduite exemplaire, paraissait d’une haute probité. Depuis deux ans, il faisait cependant de fortes dépenses. Il avait introduit un véritable luxe dans son petit appartement, achetant des tapis, des tentures, des glaces, de beaux meubles. En outre, il rentrait plus tard, il vivait plus largement ; mais il restait toujours doux et honnête, tranquille et pieux.

Dans les commencements, Marius s’était étonné des dépenses de son voisin, ne s’expliquant pas comment un employé à dix-huit cents francs pouvait acheter des choses si chères. Mais Charles lui avait dit qu’il venait de faire un héritage et qu’il comptait bientôt quitter sa place pour vivre bourgeoisement. Il s’était même mis à sa disposition, lui offrant sa bourse tout ouverte. Marius avait refusé.

Aujourd’hui, il se souvenait de cette offre. Il allait frapper à la porte du jeune homme et lui demander de sauver son frère. Un prêt de quinze mille francs ne gênerait peut-être pas ce garçon qui semblait jeter l’argent par les fenêtres. Il comptait les lui rembourser peu à peu, persuadé que son voisin lui accorderait tout le temps nécessaire.