Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/105

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et je viens de le faire appeler pour procéder à l’arrestation de Charles Blétry, qui nous a volé soixante mille francs en deux ans. »

Marius, en entendant accuser Charles de vol, comprit tout. Il s’expliqua les dépenses folles de ce jeune homme et frémit à la pensée qu’il allait justement accepter ses offres de service. Jamais il n’aurait cru que son voisin pût être capable d’une action basse. Il savait bien qu’il y avait dans Marseille, comme dans tous les grands centres d’industrie, des employés qui volent leurs patrons pour satisfaire leurs vices et leur amour du luxe ; il avait souvent entendu parler de ces commis qui gagnent cent ou cent cinquante francs par mois, et qui trouvent moyen de perdre dans les cercles des sommes énormes, de jeter des pièces de vingt francs aux filles, de vivre dans les restaurants et les cafés. Mais Charles paraissait si pieux, si modeste, si honnête, il avait joué son rôle d’hypocrite avec tant d’art qu’il s’était laissé prendre à ces apparences de probité et qu’il lui venait même encore des doutes, malgré l’accusation formelle de M. Daste.

Il s’assit, attendant le dénouement de ce drame. Il ne pouvait d’ailleurs faire autrement. Pendant une demi-heure, un silence morne régna dans le cabinet. Le manufacturier s’étais mis à écrire. Le commissaire de police et les deux agents, silencieux et comme endormis, regardaient vaguement devant eux, avec une patience terrible. Un tel spectacle aurait donné de l’honnêteté à Marius, s’il en avait manqué.

Un bruit de pas se fit entendre. La porte s’ouvrit avec lenteur.

« Voici notre homme », dit M. Daste en se levant.

Charles Blétry entra, ne se doutant de rien. Il ne vit même pas les personnes qui étaient là.

« Vous m’avez fait demander, monsieur ? » dit-il de cette voix traînante que prennent les employés en parlant à leurs chefs.

Comme M. Daste le regardait en face, il se tourna