Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/124

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tenaient les membres de la bande noire, les uns attendant leur part, les autres empochant l’argent qu’ils venaient de recevoir. À chaque minute, le banquier consultait ses comptes se baissant sur un registre, lâchant l’argent en toute prudence. Ses associés fixaient leurs regards sur ses mains.

Au bruit que la porte fit en s’ouvrant, toutes les têtes se tournèrent avec un mouvement brusque d’effroi. Et, quand ils aperçurent Marius grave et indigné, d’un geste instinctif, ils posèrent les doigts sur leurs tas d’or. Il y eut un moment de trouble et de stupeur.

Le jeune homme reconnut parfaitement les misérables. Il les avait rencontrés sur le pavé, le front haut, la physionomie digne, et il en avait même salué quelques-uns qui auraient pu sauver son frère. Ils étaient tous riches, honorés, influents, il y avait parmi eux d’anciens fonctionnaires, des propriétaires, des gens qui fréquentaient assidûment les églises et les salons de la ville. À les voir ainsi, avilis, pâlissant sous ses regards, il eut un geste de dégoût.

Rostand s’était précipité. Ses yeux clignotaient fiévreusement ; ses lèvres, lippues et blafardes, tremblaient ; tout son masque rougeâtre et ridé d’avare exprimait une sorte d’étonnement effrayé.

« Que voulez-vous ? demanda-t-il à Marius en balbutiant. On ne s’introduit pas comme ça dans les maisons.

– Je voulais quinze mille francs, répondit le jeune homme d’une voix froide et railleuse.

– Je n’ai pas d’argent, se hâta de répondre l’usurier qui se rapprocha de son coffre-fort.

– Oh ! soyez tranquille, j’ai renoncé à l’idée de me faire voler.., Je dois vous dire que depuis une heure je suis derrière cette porte et que j’ai assisté à votre séance. »

Cette déclaration fut comme un coup de massue qui fit baisser la tête aux membres de la bande noire. Ces hommes avaient encore la pudeur de leur honorabilité ; il y en eut qui se cachèrent la figure entre les mains.