Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/126

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et, comme vous vous êtes arrangés pour cacher vos infamies et pour vivre dans l’estime de tous, vous avez fini par croire vous-mêmes au respect que l’on accorde à votre hypocrisie. Eh bien ! j’ai voulu qu’une fois en votre vie vous fussiez insultés comme vous le méritez, et c’est pourquoi je suis entré ici. »

Le jeune homme vit qu’il allait être assommé, s’il continuait. Il se retira pas à pas vers la porte, dominant les usuriers du regard. Là, il s’arrêta encore.

« Je sais bien, messieurs, dit-il, que je ne puis vous traîner devant la justice humaine. Votre richesse, votre influence, votre habileté vous rendent inviolables. Si j’avais la naïveté de lutter contre vous, c’est moi sans doute qui serais écrasé... Mais, au moins, je n’aurai pas à me reprocher de m’être trouvé à côté d’hommes tels que vous, sans leur avoir craché mon mépris à la face. Je voudrais que mes paroles fussent un fer rouge qui marquât vos fronts. La foule vous suivrait avec des huées, et peut-être profiteriez-vous alors de la leçon... Partagez votre or : s’il reste en vous quelque probité, il vous brûlera les mains. »

Marius ferma la porte et s’en alla. Quand il fut dans la rue, il eut un sourire de tristesse. Il voyait la vie s’étendre devant lui avec toutes ses hontes, toutes ses misères, et il se disait qu’il jouait dans l’existence le rôle noble et ridicule d’un Don Quichotte de la justice et de l’honneur.