Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/129

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chasse terrible aux héritages. S’introduisant dans les familles, appelé par ses fonctions à y jouer un rôle de confident et d’ami, il étudiait le terrain, il dressait ses embûches. Lorsqu’il rencontrait un testateur d’âme faible et lâche, il devenait sa créature, il le circonvenait, il l’attirait peu à peu à lui, par des révérences, par des cajoleries, par toute une comédie savante de petits soins et d’effusions filiales. Ah ! c’était un habile homme ! Il fallait le voir endormir sa proie, se faire souple et insinuant, se glisser dans l’amitié d’un vieillard. Lentement, il évinçait les véritables héritiers, les neveux et les cousins, puis il rédigeait lui-même un nouveau testament qui les spoliait de la fortune de leur parent et qui le nommait légataire universel. D’ailleurs, il ne brusquait rien, il mettait dix ans pour atteindre son but, pour mûrir à point une affaire ; il procédait avec une prudence féline, rampant dans l’ombre, ne bondissant sur sa proie que lorsqu’elle était là, pantelante, rendue inerte par ses regards et ses caresses. Il chassait aux héritages comme un tigre chasse au lièvre, avec une brutalité silencieuse, une férocité faisant patte de velours. »

Fine croyait entendre une histoire des Mille et Une Nuits. Elle écoutait son oncle en ouvrant de grands yeux étonnés. Marius commençait à se familiariser avec les scélératesses.

« Et vous dites que cet homme a fait une grande fortune ? demanda-t-il au geôlier.

– Oui, continua celui-ci. On cite des exemples étranges qui prouvent l’habileté étonnante de Roumieu... Ainsi, il y a dix à quinze ans, il s’introduisit dans les bonnes grâces d’une vieille dame qui avait près de cinq cent mille francs de fortune. Ce fut une véritable passion. La vieille dame devint son esclave, à ce point qu’elle se refusait un morceau de pain pour ne pas toucher au bien qu’elle voulait laisser à ce démon, qui était entré en elle et qui la commandait en maître. Elle était possédée dans le sens du mot ; toute l’eau bénite d’une église n’aurait pas suffi pour l’exorciser. Une visite