Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/196

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milliers de francs qui m’appartenaient. Vous savez quelle a été ma vie : j’ai bu de l’eau et mangé du pain j’ai mené une existence de travailleur austère et infatigable. Mon seul luxe a été de faire quelques aumônes. L’étrange voleur qui a vécu dans son cabinet comme dans un cloître et qui a remué des sommes énormes, sans être seulement tenté d’en détourner un sou ! Avouez que si j’étais vraiment un voleur, il y a longtemps que j’aurais amassé des fonds dans ma caisse et que je me serais sauvé. »

Marius demeura surpris et embarrassé. Il n’avait pas envisagé la question sous ce point de vue. Évidemment, cet homme avait raison on ne pouvait l’accuser de vol.

« Ce qui vous blesse et vous irrite, reprit Douglas, c’est mon système lui-même. Il a échoué, et je vais être un grand criminel ; s’il avait réussi, j’aurais réalisé une grande fortune sans faire le moindre tort à personne, je serais immensément riche et tout le monde m’estimerait... Oui, ma base d’opération a été le crime, j’ai spéculé sur le faux, j’ai suivi une voie hardie et nouvelle. Mais dans ma pensée, la réussite était certaine. J’avais foi en mon activité, je ne songeais pas que je pouvais entraîner quelqu’un dans ma chute. Là a été mon aveuglement... Voyez quelle était ma conduite : je prenais des hypothèques sur des immeubles qui n’existaient pas ou qui étaient déjà donnés en garantie, mais je payais les intérêts des sommes prêtées ; je passais des billets faux mais je remboursais ces billets : mes personnages imaginaires n’étaient en quelque sorte que des prête-noms derrière lesquels je me trouvais, et je les faisais agir uniquement pour agrandir me spéculations. Comprenez-moi bien : je voulais avant tout me procurer des fonds et les faire valoir ; peu importent les valeurs fictives que j’ai émises, peu importent les actes faux, les moyens quelconques que j’ai employés afin d’étendre mon crédit et le cercle de mes affaires. En matière de spéculation, la seule réalité est le