Aller au contenu

Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/213

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

a été brisé, j’ai dû m’abandonner à l’amour plein de remords qui me déchire. Et, aujourd’hui, j’aime Philippe comme jamais je ne l’ai aimé, avec tous mes regrets et tout mon désespoir. »

Fine ne répondait rien. Elle aurait voulu que Blanche fût plus forte et acceptât la rude tâche que la maternité allait lui créer. Mais Mlle de Cazalis était toujours la pauvre âme faible qui ne savait que pleurer. Aussi la bouquetière se promettait-elle bien d’agir, lorsque le moment serait venu.

« Si vous saviez, continuait Blanche, combien je souffre quand vous n’êtes pas là ! Je sens Philippe en moi, qui me torture : il revit dans mon enfant, je le porte partout dans mon sein, et partout il me reproche mon parjure... Toujours, il est devant moi, autour de moi, dans moi. Je le vois sur le grabat de son cachot, je l’entends se plaindre et me maudire... Je voudrais n’avoir pas de cœur. Alors, je vivrais tranquille.

– Voyons, calmez-vous », disait Fine.

Devant un tel désespoir, les consolations restaient souvent impuissantes. La jeune fille assistait avec une certaine terreur à ces scènes de désolation. Elle étudiait l’amour brisé de Blanche, comme un médecin étudie une maladie étrange et terrible, et elle se disait : « Voilà ce qu’on souffre, voilà ce qu’on devient, lorsqu’on aime lâchement. »

Un jour, dans une de ces crises de désespoir, Blanche regarda fixement sa compagne et lui dit d’une voix déchirée :

« Vous devez l’épouser, n’est-ce pas ? »

Fine ne comprit pas tout de suite.

« Ne me cachez rien, reprit vivement Blanche. J’aime mieux tout savoir. Vous êtes une bonne fille, vous le rendrez heureux ? et je préfère le voir marié avec vous que de le savoir dans Marseille, courant les amours faciles... Quand je serai morte, dites-lui que je l’ai toujours aimé. »