Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/220

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– Il ne souffre pas assez, on aurait dû le pendre par les pieds.

– Ah ! voilà le bourreau qui va le délier... Courons vite. »

En effet, Douglas descendait de la plate-forme. Il monta dans une petite charrette découverte, attelée d’un seul cheval, qui devait le reconduire à la prison. À ce moment, un grand mouvement eut lieu dans la foule. Tout le peuple se précipita, pour huer, tuer peut-être le misérable. Mais les soldats entouraient la charrette et les gendarmes à cheval galopaient, écartant les émeutiers.

Marius regarda une dernière fois le condamné avec une pitié profonde. Cet homme, certes, était un grand coupable, mais le calvaire de honte qu’il montait faisait de lui plutôt un objet de commisération que de colère. Le jeune homme était resté adossé à une boutique. Comme il regardait la charrette s’éloigner, il entendit deux ouvriers qui passaient en disant :

« Nous reviendrons le mois prochain. Tu sais, on doit exposer ce garçon qui a enlevé une fille... Ce sera plus drôle.

– Ah ! oui, Philippe Cayol... Je l’ai connu, c’est un grand gaillard... Il faudra savoir le jour exact pour ne pas manquer... Il y aura du tapage. »

Les ouvriers s’éloignèrent, Marius resta pâle et brisé. Ces hommes avaient raison : dans un mois, ce serait le tour de son frère. Et il se disait que le hasard venait de le faire assister à toutes les hontes que Philippe aurait à subir. Il savait maintenant quelles souffrances l’attendaient, il se mettait à la place de Douglas et il s’imaginait l’horrible scène qui aurait lieu. Une angoisse le tint longtemps les yeux fermés, les oreilles pleines de bourdonnements : il voyait Philippe sur la plate-forme, il entendait la foule rire et l’insulter.