Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/222

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donc comme moi : portez-vous bien, mangez et buvez bien, menez une joyeuse vie. Ah ! moi, je ne sais pas ce que c’est que le chagrin. Je suis fort, j’ai un bon estomac, je puis dépenser cent francs quand cela me plaît... Je sais qu’il faut être riche pour faire comme moi. Tout le monde n’est pas riche... »

Il regardait Marius d’un air de pitié, il le trouvait si chétif, si pâle, qu’il éprouvait une joie à se sentir gras et rouge à côté de lui. Dans ce moment-là, il aurait volontiers prêté mille francs au jeune homme.

Marius n’écoutait pas son bavardage. Il lui avait serré la main d’une façon distraite, il était retombé dans ses pensées noires. Il songeait avec désespoir que depuis trois mois il avait lutté vainement, sans que sa tâche fût même commencée. Le poteau qui se dressait devant lui attendait Philippe ; et il lui semblait que ses pieds étaient cloués sur le trottoir, qu’il ne pouvait plus courir au secours de son frère. En ce moment, il se serait vendu pour avoir quelques milliers de francs, il aurait commis une lâcheté.

Sauvaire ne recevant pas de réponse, continuait à bavarder. Il aimait à entendre le son de sa voix.

« Que diable ! disait-il, un jeune homme doit s’amuser. Eh ! pauvre vous ! vous ne vous amusez pas assez, vous travaillez trop, mon jeune ami... Ah ! il faut beaucoup d’argent : les plaisirs, c’est cher. Moi, il y a des semaines où je dépense gros comme moi... Vous ne pouvez pas vous amuser autant que ça, c’est impossible ; mais vous pourriez cependant rire un peu. Vous avez bien quelques sous, n’est-ce pas ?... Tenez ! voulez-vous que je vous mène parfois, le soir, dans des endroits où vous ne vous ennuierez pas ? »

Le maître portefaix avait cru se montrer très généreux en faisant cette proposition à Marius. Il attendit un moment les remerciements du jeune homme. Puis, comme le pauvre garçon gardait toujours un silence désespéré, il lui prit le bras avec autorité et l’entraîna sur le trottoir.