Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/242

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Il voulut suivre la même tactique. Il mit cinquante francs sur le tapis, et les perdit, il en mit cinquante autres, et les perdit encore.

Les joueurs sont justement fatalistes, ils savent par expérience que le hasard a ses lois comme toutes les choses de ce monde, qu’il travaille parfois une nuit entière à la fortune d’un homme, et que souvent, le lendemain, il travaille à sa ruine, avec le même entêtement. Il arrive un moment où la chance tourne, où celui qui a gagné pendant une longue série de coups, perd pendant une nouvelle série tout aussi longue. Marius en était à un de ces moments terribles.

Il perdit à cinq reprises. Sauvaire, qui s’était approché et qui suivait son jeu, se pencha pour lui dire rapidement :

« Ne jouez pas ce soir, vous n’êtes pas en veine... Vous allez perdre tout ce que vous avez gagné hier. »

Le jeune homme haussa les épaules avec impatience. Sa gorge se séchait et la sueur montait à son front.

« Laissez-moi, répondit-il brusquement, je sais ce que je fais... Je veux tout ou rien.

– À votre aise, reprit le maître portefaix. Je vous ai averti... J’ai acquis quelque expérience depuis plus de dix ans que je joue et que je vois jouer. Dans quelques heures, mon bon, vous n’aurez plus un sou... C’est toujours comme ça que ca arrive. »

Il prit une chaise et s’assit derrière Marius, voulant assister à la réalisation de ses prédictions. Clairon et Isnarde, qui espéraient glaner quelques pièces d’or comme la veille, vinrent également se placer près du jeune homme. Elles riaient, elles faisaient les belles, et Sauvaire, par instants, plaisantait bruyamment avec elles. Ces éclats de rire, ces ricanements qu’il entendait derrière lui, exaspéraient Marius. Il fut deux ou trois fois sur le point de se retourner, pour envoyer Sauvaire et les filles au diable. Désespéré de perdre, énervé par les coups étranges et terribles que lui portait le hasard, il sentait monter en lui une colère qu’il aurait voulu soulager sur quelqu’un.