Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/243

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Il avait d’abord joué comme la veille, avec audace et décision, risquant les coups de cinq, comptant sur sa bonne chance. Mais sa bonne chance l’avait abandonné, l’audace ne lui réussissait plus. Il voulut alors procéder en toute prudence ; il rusa avec le hasard, il calcula les probabilités, il joua enfin en joueur habile. Il perdit tout aussi souvent. À plusieurs reprises, il eut huit et le banquier eut neuf. La fortune semblait prendre un âpre plaisir à dépouiller celui qu’elle avait comblé de ses faveurs. C’était bel et bien un combat à outrance, et, à chaque attaque nouvelle, à chaque coup de cartes, Marius était vaincu. Au bout d’une heure, il avait déjà perdu quatre mille francs.

Sauvaire chantonnait derrière lui :

« Qu’est-ce que j’avais dit ?... Je le savais bien ! » Et Clairon et Isnarde, qui voyaient se fondre les pièces d’or sur lesquelles elles comptaient, commençaient à railler le jeune homme et à chercher du regard un joueur plus heureux.

Marius, éperdu devant le gouffre ouvert devant lui, se tourna vers Sauvaire et lui dit d’une voix étranglée :

« Vous qui savez jouer, faites-moi jouer.

– Oh ! répondit le maître portefaix, vous joueriez comme un ange, que vous perdriez... Le hasard est aveugle, voyez-vous, il va où il veut, jamais on ne le dirige... Vous feriez mieux de vous retirer.

– Non, non, je veux en finir.

– Eh bien ! essayons... Jouez la série. »

Marius joua la série. Coup sur coup, il perdit cinq cents francs.

« Ah ! diable ! dit Sauvaire... Jouez l’intermittence alors. »

Marius joua l’intermittence. Il perdit encore.

« Je vous ai averti, je vous ai averti, répétait le maître portefaix... Essayez une martingale. »

Marius essaya une martingale et ne fut pas plus heureux.

« C’est à devenir fou, s’écria-t-il avec emportement.