Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/256

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dépassait l’or des tranches. Il ouvrit le paroissien, poussé par une curiosité qu’il ne raisonna pas, et une feuille pliée en quatre glissa devant lui.

C’était une mignonne feuille de papier rose, qui exhalait une vague odeur d’encens. Marius allait remettre cette feuille dans le livre, lorsque, en la prenant, il vit qu’elle était marquée de l’initiale D et d’une croix en relief. Il la déplia brusquement, et lut ce qui suit :

« Chère âme, vous dont le Seigneur m’a confié le salut, écoutez, je vous prie, le projet que j’ai formé pour votre bonheur éternel. Je n’ai point osé vous dire ce projet de vive voix, craignant de trop céder aux émotions adorables que votre sainteté fait naître en moi.

« Vous ne pouvez rester dans la maison de votre frère. C’est là un lieu de perdition, votre frère est adonné au culte abominable des idoles modernes. Venez, venez avec moi. Nous gagnerons une solitude. Je vous remettrai entre les mains de Dieu.

« Peut-être mes larmes, mes frissons, vous ont-ils livré le secret de mon cœur. Je vous aime comme la sainte l’église, notre mère, aime les âmes blanches qui viennent à elle. Je vous rêve chaque nuit, je nous vois enlacés dans une étreinte céleste, et nous montons au ciel tous deux, en échangeant des baisers angéliques.

« Ah ! ne résistez pas à l’appel de Dieu. Venez. Il y a une religion supérieure que nous ne révélons pas au vulgaire. Cette religion unit deux à deux les créatures. Elle fait des époux et non des martyrs.

« Rappelez-vous nos entretiens. Dites-vous que je vous aime, et venez. Je vous attends chez moi. J’aurai une chaise de poste dans une rue voisine. »

Marius resta tout étourdi, après une pareille lecture. L’abbé Donadéi proposait bel et bien un enlèvement à Mlle Claire. Il régnait, il est vrai, dans sa lettre, un brouillard d’encens, un mysticisme libertin et nuageux qui dérobait le sens brutal de la pensée sous