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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/269

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clabaudait sur les motifs qui pouvaient avoir décidé le couple amoureux à s’enfuir. Le meilleur de l’histoire était que Sauvaire, ne connaissant pas les faits qui avaient poussé Marius à faire enlever Clairon, fut d’une naïveté absolue. Comprenant que la farce serait d’autant plus drôle que l’amour de Donadéi pour Clairon paraîtrait plus sérieux, il mentit avec un aplomb méridional ; il fit accroire aux gens que le prêtre se mourait véritablement d’amour pour cette créature ridée, jaunie, lasse de honte, que tout le monde connaissait. Ce fut un étonnement général, une moquerie universelle ; on ne pouvait s’imaginer que le galant abbé, dont les dévotes raffolaient, se fût sauvé avec une pareille femme, et on faisait des gorges chaudes sur ces amours monstrueuses.

Le lendemain, le scandale était connu de toute la ville. Sauvaire triomphait, il devenait un personnage. On savait qu’il avait été le dernier amant de Clairon, et que c’était à lui que Donadéi avait volé cette fille. Pendant toute la journée, il se promena en pantoufles sur la Cannebière, recevant d’un air comique les condoléances que ses intimes venaient lui offrir. Il criait très haut, répondant aux uns appelant les autres, usant et abusant de sa popularité. Certes, il ne regrettait pas ses mille francs : jamais il n’avait placé pour ses plaisirs une somme à plus gros intérêts.

Le scandale devint épouvantable, lorsque, deux jours après, on vit revenir Clairon. Sauvaire lui acheta une robe de soie et la promena une semaine dans Marseille, en voiture découverte. On les montrait du doigt, on se mettait sur les portes, quand ils passaient. Le maître portefaix faillit étouffer de joie.

Clairon était allée jusqu’à Toulon. Donadéi n’avait pas tardé à voir quelle femme il enlevait : il était entré dans une rage terrible et avait voulu jeter la fille sur la grande route, à une heure du matin, loin de toute habitation. Mais Clairon n’était pas facile à émouvoir. Elle avait parlé haut, menaçant l’abbé, usant des armes que