Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/320

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rentrer à Marseille. J’ai fait un coup de tête. Toi qui es sage, tu répareras tout. » Et Philippe, se tournant vers Fine, lui demanda vivement :

« Comment se porte mon petit Joseph ? » Alors, les dangers que courait le fugitif furent oubliés. Après la surprise et le mécontentement des premières minutes, vinrent des effusions, toute une causerie tendre qui se prolongea jusqu’à trois heures du matin. Philippe conta ses misères, ses souffrances d’exilé. Il avait donné çà et là des leçons de français pour vivre, évitant de se fixer dans un endroit, préférant rester seul et inconnu. Lorsqu’il eut confessé toutes ses douleurs, son frère, profondément ému, ne songea plus à lui reprocher son retour ; il chercha au contraire les moyens de le cacher à Marseille, afin qu’il pût attendre sa grâce auprès de son petit Joseph.

Marius exigea d’abord que Philippe se fît raser, ce qui changea toute la physionomie du jeune homme. Puis, il l’habilla de vêtements grossiers et le fit entrer comme portefaix chez Cadet, le frère de sa femme, qui avait succédé à Sauvaire. Il était entendu que Cadet laisserait Philippe se promener en paix sur le port, sans lui imposer le moindre travail. Dès le second jour, le faux portefaix voulut travailler pour se distraire, et il se chargea de conduire une escouade d’hommes de peine.

Pendant plusieurs mois, les choses en restèrent là. Marius s’attendait d’un jour à l’autre à pouvoir libérer son frère. Quant à Philippe, il était parfaitement heureux. Chaque soir, il se rendait à Saint-Barnabé, et là, goûtait près de son fils des joies qui lui faisaient oublier les tristesses de sa vie.

Il y avait une année déjà qu’il était à Marseille, lorsqu’un soir, en arrivant chez le jardinier Ayasse, il crut voir derrière lui un homme grand et sec, qui le suivait depuis le port. Les rires de bienvenue du petit Joseph lui firent oublier cet incident. S’il avait tourné la tête, le lendemain, il aurait vu que l’homme grand et sec l’accompagnait et l’espionnait de nouveau.