Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/363

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Fine et Marius vivaient dans d’éternelles alarmes. Ce dernier n’osait plus faire la leçon à son frère, qui le recevait chaque fois avec plus de brusquerie. Il se contentait de le surveiller secrètement, d’être toujours prêt à le sauver des folies qu’il pourrait commettre.

Un jour, comme il débouchait sur la Cannebière, il se trouva face à face avec un capitaine de la garde nationale, qui faisait élire au soleil les galons neufs de son uniforme. Il reconnut Sauvaire.

L’ancien maître portefaix était rayonnant. Il frappait du talon sur les pavés d’une façon victorieuse. Par moments, lorsqu’il regardait du coin de l’œil ses épaulettes, un sourire de vanité satisfaite montait malgré lui à ses lèvres. Son épée le gênait bien un peu, en lui battant les mollets ; mais il la tenait d’une main, il y appuyait son poing, le bras arrondi. Cette épée devait être « le plus beau jour de sa vie, tout comme le sabre de M. Prudhomme. » Son uniforme le sanglait militairement, et s’il étouffait dans sa tunique, il était heureux d’étouffer pour le salut de la patrie. À la façon dont il marchait, les coudes en dehors, la tête renversée, on devinait qu’il sauvait la France tous les dix pas. On lisait sur son visage, largement épanoui, une joie enfantine d’être habillé en soldat et un désir féroce d’être pris au sérieux.

La rencontre de Marius l’embarrassa d’abord. Il craignit que celui-ci ne se souvînt du passé, du temps où il fréquentait les tripots et qu’il ne se mît à le plaisanter en le retrouvant sous l’uniforme. Il le regarda d’un air inquiet, redoutant de voir sa dignité compromise. Quand il s’aperçut que le jeune homme retenait un léger sourire, il jugea bon de se montrer dans toutes les grâces de son grade d’officier.

« Eh ! s’écria-t-il d’une voix militaire, brève et retentissante, eh c’est mon jeune ami ! Comment allez-vous ? Il y a des siècles que je ne vous ai vu. Ah ! que d’événements, bon Dieu ! Que d’événements ! »

Il parlait si haut que tous les passants se retournaient. Cette attention prêtée à sa personne le flattait énormément.