Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/365

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– Vous êtes tout à fait bien, répondit Marius, et je vous avoue que votre vue inattendue m’a fait une grande impression... Et quelles sont vos opinions ? » Sauvaire parut tout effaré.

« Mes opinions ? répéta-t-il en cherchant ce que cela pouvait signifier mes opinions ?... Ah ! oui, ce que je pense de la République n’est-ce pas ?... Mais je pense que la République est une excellente chose. Seulement, l’ordre, vous comprenez... La garde nationale a été créée pour maintenir l’ordre. L’ordre, moi je ne sors pas de là. »

Il se dandina, triomphant d’avoir pu se trouver une opinion. Au fond, il estimait la République qui lui avait donné des épaulettes ; mais on lui avait dit que les républicains, s’ils l’emportaient lui voleraient son argent, et il détestait les républicains. Ces deux sentiments contradictoires s’arrangeaient en lui tant bien que mal. D’ailleurs, il ne s’interrogeait jamais sur ses convictions.

Il fit encore quelques pas avec Marius, puis le quitta, en lui déclarant d’un air important que son service le réclamait. Mais ce n’était qu’une fausse sortie, il tourna sur ses talons et revint murmurer au jeune homme, d’un ton confidentiel :

« J’oubliais... Dites donc à votre frère qu’il se compromet avec ce tas de va-nu-pieds qu’il traîne toujours à sa suite. Conseillez-lui de ne plus se mêler à la canaille et de se faire nommer capitaine comme moi. Cela est plus prudent. »

Et, comme Marius, sans lui répondre, lui serrait la main pour le remercier, il ajouta, en bon homme qu’il était au fond :

« Si je puis vous être utile, dans quelque bagarre, comptez sur moi... J’aime autant servir mes amis que la patrie. Je suis tout à votre disposition, entendez-vous ? »

Il ne paradait plus. Marius le remercia encore, et ils se quittèrent les meilleurs amis du monde.