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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/397

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gardes nationaux, que Mathéus avait remarqué le matin, était encore dans un coin de la place.

« Attendez, dit Mathéus aux plus ardents, je me charge de les renvoyer. Ce sont des amis. » Il alla trouver le lieutenant, avec lequel il avait déjà eu un bout de conversation, et lui demanda si ses hommes étaient pour le peuple. Le lieutenant lui répondit qu’ils étaient pour le bon ordre.

« Nous aussi », reprit effrontément Mathéus.

Puis, s’approchant, il ajouta à voix plus basse :

« Écoutez, j’ai un conseil à vous donner. Allez-vous-en au plus vite. Si vous refusez, nous allons être obligés de vous désarmer, de vous tuer peut-être, et on ne se tue pas entre frères. Croyez-moi, ne restez pas une minute de plus. »

Le lieutenant regarda autour de lui. Il ne demandait pas mieux que de s’en aller, mais il avait peur de paraître lâche. La position était critique. Lentement, les insurgés entouraient les gardes nationaux et regardaient leurs fusils avec des yeux luisants de désir. D’autre part, des hommes travaillaient déjà aux barricades, et le lieutenant ne pouvait assister à une pareille besogne sans livrer bataille. Il préféra se retirer. Le défilé des gardes nationaux s’accomplit dans un profond silence.

Dès lors la place appartint aux insurgés, qui commencèrent par chercher à s’y fortifier le mieux possible. Le malheur était qu’ils n’avaient pas les matériaux nécessaires pour élever une barricade haute et solide. Ils durent se contenter des bancs et des caisses des marchands d’herbes établis sur la place, ils les mirent d’abord en travers des rues, et ils fouillèrent ensuite les maisons voisines pour trouver des tonneaux, des planches, des matériaux quelconques.

Pendant ce temps, Mathéus se reposait dans sa victoire. Maintenant qu’il était arrivé à son but, il aurait voulu s’effacer autant que possible, disparaître dans la foule, pour ne point se compromettre davantage. Il s’était débarbouillé à une fontaine voisine et avait oublié son