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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/410

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maudit cent fois pour l’étrange idée qu’il avait eue de retirer sa perruque. D’ailleurs, il ne soupçonna pas un instant la part que les Cayol avaient prise à son arrestation. Philippe ayant feint de ne pas le reconnaître, il s’imaginait que sa mésaventure venait seulement de ce que les insurgés le prenaient pour un agent provocateur, accusation contre laquelle il n’avait pu se défendre. Au fond, il raillait même ses adversaires de lui être venus en aide. Du reste, il ne se désespérait pas outre mesure ; car il avait toujours considéré les ouvriers comme des imbéciles, et il se disait qu’il saurait bien leur échapper, lors de l’attaque des barricades. Ce n’était qu’un contretemps. Il s’agissait d’attendre. Philippe s’était retiré avec Marius, dans un coin de la place, et lui disait d’une voix basse et animée :

« J’ai préféré ne pas le laisser pendre... Si nous étions vainqueurs, cet homme deviendrait entre nos mains une arme terrible contre Cazalis.

– Et si vous êtes vaincus ? demanda Marius.

– Si nous sommes vaincus, reprit sourdement Philippe, je te confie mon enfant. Tu le protégeras... Ne m’accable pas. Je dois aller droit devant moi, sans regarder en arrière. »

La conversation des deux frères fut interrompue par un murmure qui s’éleva au milieu de la place. Il était environ deux heures. Depuis plus d’une heure, les barricades étaient terminées, les insurgés attendaient. Ils avaient profité de cet instant de répit pour organiser un plan de défense et prendre leurs dernières dispositions. Après l’arrestation de Mathéus, un silence de mort s’était établi.

Chaque ouvrier, cloué à son poste, regardait fixement devant lui, le fusil armé, se renfermant dans une pensée de vengeance.

Tout d’un coup, ceux qui gardaient la barricade de la Grand-Rue virent s’avancer deux personnes qui pénétrèrent hardiment sur la place. En entendant le murmure dont on les accueillait, Philippe s’approcha et