Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/411

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reconnut M. Martelly et l’abbé Chastanier. L’armateur vint vivement à sa rencontre.

« Par pitié, lui dit-il, si vous avez quelque pouvoir sur ces hommes, détournez-les d’une lutte fratricide.

– Mon enfant, murmura de son côté le prêtre, je suis venu à vous pour vous supplier à mains jointes d’éviter l’effusion du sang. »

Philippe secoua la tête sans répondre. Il était contrarié de leur venue, il se sentait plus coupable, plus accablé devant eux. L’armateur continua :

« Vous le voyez, je viens, comme je vous l’avais promis, me mettre entre le feu du peuple et celui de la troupe... Je regrette amèrement aujourd’hui de n’avoir pas conquis une popularité de quelques jours sur les ouvriers, afin de les forcer à m’écouter et à suivre mes conseils.

– Je ne puis rien, finit par dire Philippe. Ces hommes sont exaspérés, ils m’écoutent parce que je pense, comme eux, que le peuple a une vengeance à tirer ; mais, si je leur parlais de pardon et d’oubli, ils me tourneraient le dos. Essayez vous-même. »

Les ouvriers s’étaient peu à peu rapprochés. M. Martelly se dirigea vers eux.

« Mes amis, cria-t-il, je suis chargé de vous annoncer qu’on fera justice à vos réclamations. Je viens de voir le commissaire du gouvernement. »

Ces paroles retentirent au milieu d’un silence frissonnant d’une sourde colère. Puis, au bout d’un instant, la foule entière répondit dans un seul cri :

« Il est trop tard ! »

Alors, l’abbé Chastanier s’adressa à chaque ouvrier. Mais, un à un, ils s’éloignèrent tous, farouches, ne voulant rien entendre. Quand il leur disait que Dieu défend de verser le sang, « pourquoi lui répondaient-ils, n’avez-vous pas dit cela ce matin à la garde nationale ? » De son côté, M. Martelly n’était pas plus heureux. On le connaissait pour un esprit indépendant, mais on le