Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/69

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« Eh bien ! continua celui-ci, vous ne me demandez pas de vous servir, de vous défendre contre Cazalis ?… Allons, vous êtes intelligent. Vous comprenez que je ne puis rien, contre cette noblesse entêtée et vaniteuse à laquelle j’appartiens. Ah ! votre frère a fait là un beau coup ! »

M. de Girousse marchait à grands pas dans le salon. Brusquement, il se planta devant Marius.

« Écoutez bien notre histoire, dit-il d’une voix haute. Nous sommes, dans cette bonne ville, une cinquantaine de vieux bonshommes comme moi, qui vivons à part, cloîtrés au fond d’un passé mort à jamais. Nous nous disons la fine fleur de la Provence, et nous restons là, inactifs, à rouler nos pouces… D’ailleurs, nous sommes des gentilshommes, des cœurs chevaleresques, attendant avec dévotion le retour de leurs princes légitimes. Eh ! mordieu ! nous attendrons longtemps, si longtemps que la solitude et la paresse nous auront tués, avant que le moindre prince légitime se montre. Si nous avions de bons yeux, nous verrions marcher les événements. Nous crions aux faits : « Vous n’irez pas plus loin ! » et les faits nous passent tranquillement sur le corps et nous écrasent. J’enrage, lorsque je nous vois enfermés dans un entêtement aussi ridicule qu’héroïque. Dire que nous sommes presque tous riches, que nous pourrions presque tous faire des industriels intelligents qui travailleraient à la prospérité de la contrée, et que nous préférons moisir au fond de nos hôtels, comme de vieux débris d’un autre âge ! »

Il reprit haleine, puis continua avec plus de force :

« Et nous sommes orgueilleux de notre existence vide. Nous ne travaillons pas, par dédain pour le travail. Nous avons une sainte horreur du peuple, dont les mains sont noires… Ah ! votre frère a touché à une de nos filles ! On lui fera voir s’il est du même sang que nous. Nous allons nous liguer tous ensemble et donner une leçon aux vilains, nous leur ôterons l’envie de se faire aimer de nos enfants. Quelques ecclésiastiques