Aller au contenu

Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissants nous seconderont ; ils sont fatalement liés à notre cause… Ce sera une bonne campagne pour notre vanité. »

Après un instant de silence, M. de Girousse reprit en raillant :

« Notre vanité… Elle a reçu parfois de larges accrocs. Quelques années avant ma naissance, un drame terrible se passa dans l’hôtel qui est voisin du mien. M. d’Entrecasteaux, président du Parlement, y assassina sa femme dans son lit ; il lui coupa la gorge d’un coup de rasoir, poussé, dit-on, par une passion qu’il voulait contenter, même à l’aide du crime. Le rasoir ne fut retrouvé que vingt-cinq jours après au fond du jardin ; on trouva également dans le puits, les bijoux de la victime, jetés là par le meurtrier afin de faire croire à la justice que l’assassinat avait eu le vol pour mobile. Le président d’Entrecasteaux prit la fuite et se retira, je crois, en Portugal où il mourut misérablement. Le Parlement le condamna par contumace à être roué vif… Vous voyez que nous avons aussi nos scélérats et que le peuple n’a rien à nous envier. Cette lâche cruauté d’un des nôtres porta, dans le temps, un rude coup à notre autorité. Un romancier pourrait faire une œuvre poignante de cette sanglante et lugubre histoire.

– Et nous savons aussi plier l’échine, dit encore M. de Girousse qui s’était remis à marcher. Ainsi, lorsque Fouché, le régicide alors duc d’Otrante, fut, vers 1810, exilé un moment dans notre ville, toute la noblesse se traîna à ses pieds. Je me rappelle une anecdote qui montre à quelle plate servilité nous étions descendus. Au 1er janvier 1811, on faisait queue pour offrir à l’ancien Conventionnel des vœux de bonne année. Dans le salon de réception, on parlait du froid rigoureux qu’il faisait, et un des visiteurs exprimait des craintes sur le sort des oliviers. « Eh ! que nous importent les oliviers ! s’écria un des nobles personnages, pourvu que M. le duc se porte bien !…  » Voilà comme nous sommes, aujourd’hui, mon ami : humbles avec