Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre homme préfère être trompeur que pauvre. Tandis que ses confrères livrent à perte de bonne marchandise, il achète toutes les huiles gâtées, toutes les huiles rances qu’il peut trouver, puis il fait les livraisons promises. Les clients se plaignent, se fâchent. Le spéculateur répond avec sang-froid qu’il tient strictement ses promesses, et qu’on n’a rien de plus à lui demander. Et le tour est joué. Tout Marseille, qui connaît cette histoire, n’a pas assez de coups de chapeau pour cet homme adroit.

– Gautier… autre négociant de Marseille. Celui-là a un neveu, Paul Bertrand, qui a escroqué en grand. Ce Bertrand était associé avec un sieur Aubert de New York, qui lui envoyait des marchandises dont le chargement devait être vendu à Marseille. Ils avaient chacun une part égale dans les bénéfices. Notre homme gagnait beaucoup d’argent à ce commerce, d’autant plus qu’il prenait le soin de tromper son associé à chaque partage. Un jour, une crise éclate, les pertes arrivent. Bertrand continue à accepter les marchandises que les navires apportent toujours, mais il refuse de payer les traites qu’Aubert tire sur lui, disant que les affaires vont mal et qu’il est gêné. Les traites font retour, reviennent de nouveau, avec des frais énormes. Alors Bertrand déclare tranquillement qu’il ne veut pas payer, qu’il n’est pas obligé de rester éternellement l’associé d’Aubert et qu’il ne doit rien. Nouveau retour des traites, nouveaux frais, remboursement onéreux pour le négociant de New York, indigné et surpris. Ce dernier, qui n’a pu plaider que par procuration, a perdu le procès en dommages et intérêts qu’il a intenté à Bertrand ; on m’a affirmé que les deux tiers de sa fortune, douze cent mille francs, avaient disparu dans cette catastrophe… Bertrand reste le plus honnête homme du monde ; il est membre de toutes les sociétés, de plusieurs congrégations ; on l’envie et on l’honore.

– Dutailly… un marchand de blé. Il est arrivé anciennement à un de ses gendres, Georges Fouque, une