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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/88

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heureux. Et voilà que vous le faites mettre en prison… Tenez, ne parlons pas de cela, je me fâcherais, je vous frapperais. » Elle s’arrêta, haletante, puis continua, s’approchant, brûlant de son haleine ardente les joues glacées de Blanche :

« Vous ne savez donc pas comment nous aimons, nous les pauvres filles ? Nous aimons de tout notre corps, de tout notre courage. Lorsque nous nous sauvons avec un homme, nous ne venons pas dire ensuite qu’il a profité de notre faiblesse. Nous le serrons avec force dans nos bras pour le défendre… Ah ! si Philippe m’avait aimée ! Mais je suis une malheureuse, une pauvresse, une laide…  »

Et Fine se mit à sangloter, aussi faible que Mlle de Cazalis. Celle-ci lui prit la main, et, la voix coupée de larmes :

« Par pitié, dit-elle, ne m’accusez pas. Voulez-vous être mon amie, voulez-vous que je mette mon cœur à nu devant vous ?… Je souffre tant, si vous saviez !… Moi, je ne puis rien, j’obéis à mon oncle qui me brise dans ses mains de fer. Je suis lâche, je le sais ; mais je n’ai pas la force de n’être point lâche… Et j’aime Philippe, je le trouve toujours en moi. Il me l’a bien dit : Ton châtiment, si jamais tu me trahis, sera de m’aimer éternellement, de me garder sans cesse dans ta poitrine… Il est là, il me brûle, il me tuera. Tout à l’heure, quand on l’a condamné, j’ai senti en moi quelque chose qui m’a fait tressaillir et qui m’a déchiré les entrailles… Je pleure, voyez, je vous demande grâce. » Toute la colère de Fine était tombée. Elle soutint Blanche qui chancelait.

« Vous avez raison, continua la pauvre enfant, je ne mérite pas de pitié. J’ai frappé celui que j’aime et qui ne m’aimera jamais plus… Ah ! par grâce, s’il devient un jour votre mari, dites-lui mes larmes, demandez-lui mon pardon. Ce qui me rend folle, c’est que je ne puis lui faire savoir que je l’adore : il rirait, il ne comprendrait pas toute ma lâcheté… Non, ne lui parlez