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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/96

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arrêtant des comptes. Jeune encore, grand, d’une figure belle et intelligente, il était mis avec une grande recherche, portait des bagues aux doigts, avait un air galant et riche. On eût pu croire qu’il venait de faire un bout de toilette pour recevoir ses clients et leur expliquer lui-même son désastre.

D’ailleurs, son attitude paraissait courageuse. Cet homme était une victime résignée des circonstances ou bien un fieffé coquin qui payait d’audace.

En voyant entrer Marius, il le regarda en face, et son visage exprima une sorte de tristesse loyale.

« Je vous attendais, cher monsieur, dit-il d’une voix émue. Vous le voyez, j’attends toutes les personnes dont j’ai amené la ruine. J’aurai du courage jusqu’au bout, je veux que chacun puisse s’assurer que je n’ai pas de rougeur au front. »

Il prit un registre sur son bureau, et l’étala avec une certaine affectation.

« Voici mes comptes, continua-t-il. Mon passif est d’un million, mon actif d’un million cinq cent mille francs… Le tribunal réglera, et je veux croire que mes créanciers ne perdront rien… Je suis le premier frappé, j’ai perdu ma fortune et mon crédit, je me suis laissé voler indignement par des débiteurs insolvables. »

Marius n’avait pas encore prononcé un mot. Devant le calme abattu de Bérard, devant cette mise en scène d’une douleur austère, il ne trouvait plus au fond de lui un seul cri de reproche, une seule parole indignée. Il plaignait presque cet homme qui faisait tête à l’orage.

« Monsieur, lui dit-il enfin, pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu lorsque vous avez vu vos affaires s’embrouiller et tourner mal ? Ma mère était amie de la vôtre. En souvenir de nos anciennes relations, vous auriez dû me faire retirer de chez vous cet argent que vous alliez compromettre… Votre ruine, aujourd’hui, me dépouille entièrement et me jette dans le désespoir. »

Bérard s’avança vivement et saisit les mains de Marius.