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Page:Zola - Les Mystères de Marseille, Charpentier, 1885.djvu/97

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« Ne dites pas cela ! s’écria-t-il d’un ton larmoyant, ne m’accablez pas. Ah ! vous ignorez les regrets cruels qui me déchirent… Quand j’ai vu le gouffre, j’ai voulu me rattraper aux branches, j’ai lutté jusqu’au dernier moment, j’ai espéré sauver les sommes déposées entre mes mains… Vous ne savez pas quelles terribles chances courent les manieurs d’argent. »

Marius ne trouva rien à répondre. Que pouvait-il dire à un homme qui s’excusait en s’accusant ? Il n’avait pas de preuves, il n’osait traiter Bérard de fripon, il ne lui restait qu’à se retirer. Le banquier parlait d’une voix si dolente, d’une façon si pénétrée et si franche, qu’il se hâta de sortir pour le laisser tranquille. Son malheur l’accablait.

Comme il traversait de nouveau les bureaux vides, le commis, qui avait fini de préparer son petit déménagement, prit son paquet et son chapeau, puis se mit à le suivre. Ce commis ricanait entre ses dents. À chaque marche, il regardait Marius d’un air étrange, en haussant les épaules. En bas, sur le trottoir, il l’aborda brusquement.

« Eh bien ! dit-il, que pensez-vous du sieur Bérard ?… C’est un fameux comédien, n’est-ce pas ?… La porte du cabinet était restée ouverte, j’ai bien ri à voir ses mines désolées. Il a failli pleurer, l’honnête homme ! Permettez-moi de vous dire, monsieur que vous venez de vous laisser duper de la plus galante façon.

– Je ne vous comprends pas, répondit Marius.

– Tant mieux. C’est que vous êtes un honnête garçon… Moi je quitte cette baraque avec une joie profonde. Il y a longtemps que je me doutais du coup : j’avais prévu le dénouement de cette haute comédie du vol. J’ai un flair tout particulier pour sentir les tripotages dans une maison.

– Expliquez-vous.

– Oh ! l’histoire est simple. Je puis vous la conter en deux mots… Il y a dix ans que Bérard a ouvert une maison de banque. Aujourd’hui, je ne doute pas