Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/153

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occupant toute l’allée centrale. On ne pouvait plus circuler, il fallait prendre des précautions pour suivre les sentiers étroits, ménagés autour des malades. Chacune gardait son paquet, son carton, sa valise ; et c’était, au pied des couches improvisées, un entassement de pauvres choses, de loques traînant parmi les draps et les couvertures. On aurait dit une ambulance pitoyable, organisée à la hâte après quelque grande catastrophe, un incendie, un tremblement de terre, qui aurait jeté à la rue des centaines de blessés et de pauvres.

Madame de Jonquière allait d’un bout de la salle à l’autre, répétant toujours :

— Voyons, mes enfants, ne vous excitez pas, tâchez de dormir un peu.

Mais elle n’arrivait pas à les calmer, et elle-même, ainsi que les dames hospitalières, placées sous ses ordres, augmentaient la fièvre, par leur effarement. Il fallait changer de linge plusieurs malades, d’autres avaient des besoins. Une, qui souffrait d’un ulcère à la jambe, poussait de telles plaintes, que madame Désagneaux avait entrepris de refaire le pansement ; mais elle était malhabile, et malgré tout son courage d’infirmière passionnée, elle manquait de s’évanouir, tant l’insupportable odeur l’incommodait. Les mieux portantes demandaient du bouillon, des bols circulaient, au milieu des appels, des réponses, des ordres contradictoires qu’on ne savait comment exécuter. Et, très gaie, lâchée à travers cette bousculade, la petite Sophie Couteau, qui demeurait avec les sœurs, se croyait en récréation, courait, dansait, sautait à cloche-pied, appelée par toutes, aimée et cajolée, pour l’espoir du miracle qu’elle apportait à chacune.

Les heures pourtant s’écoulaient, dans cette agitation. Sept heures venaient de sonner, lorsque l’abbé Judaine entra. Il était aumônier de la salle Sainte-Honorine, et la difficulté de trouver un autel libre pour dire sa messe,