Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/173

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n’en sais rien ! Moi qu’on imagine si savant, si armé contre la mort, je n’y ai rien compris, je n’ai rien pu, pas même prolonger d’une heure la vie de ma fille. Et ma femme, que j’ai trouvée froide dans son lit, lorsqu’elle s’était couchée la veille mieux portante et si gaie, est-ce que j’ai été capable seulement de prévoir ce qu’il aurait fallu faire ?… Non, non ! pour moi, la science a fait faillite. Je ne veux plus rien savoir, je ne suis qu’une bête et qu’un pauvre homme.

Il disait cela, dans une révolte furieuse contre tout son passé d’orgueil et de bonheur. Puis, lorsqu’il se fut apaisé :

— Tenez ! je n’ai plus qu’un remords affreux. Oui, il me hante, il me pousse sans cesse par ici, à rôder au milieu de ces gens qui prient… C’est de n’être pas venu d’abord m’humilier devant cette Grotte, en y amenant mes deux chères créatures. Elles se seraient agenouillées comme toutes ces femmes que vous voyez, je me serais simplement agenouillé avec elles, et la sainte Vierge me les aurait peut-être guéries et conservées… Moi, imbécile, je n’ai su que les perdre. C’est ma faute.

Des larmes, maintenant, ruisselaient de ses yeux.

— Dans mon enfance, à Bartrès, je me souviens que ma mère, une paysanne, me faisait joindre les mains, pour demander chaque matin le secours de Dieu. Cette prière m’est nettement revenue à la mémoire, lorsque je me suis retrouvé seul, aussi faible et perdu qu’un enfant. Que voulez-vous, mon ami ? mes mains se sont jointes comme autrefois, j’étais trop misérable, trop abandonné, je sentais trop vivement le besoin d’un secours surhumain, d’une puissance divine qui pensât, qui voulût pour moi, qui me berçât et m’emportât dans sa prescience éternelle… Ah ! les premiers jours, quelle confusion, quel égarement au fond de ma triste tête, sous l’effroyable coup de massue qu’elle venait de recevoir ! J’ai passé vingt nuits sans