Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/300

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ans plus âgé, blanc et solennel, gardait la haute prestance du pouvoir, avec sa belle figure rasée, ses favoris neigeux, toute cette attitude de conventionnel romantique, qui essayait de magnifier la simple loyauté d’un bourgeois, un peu sot et bon ; autant l’autre, lourd et fin, sous son masque commun, dans son affectation de rondeur et de simplicité, cachait des gouffres ignorés, une âme obscure de jouisseur et de despote, sans pitié ni scrupules.

Très ému au fond, Barroux souffla un instant, le sang à la tête, le cœur battant d’indignation et de colère, au souvenir du flot de basses injures que la Voix du Peuple avait déversé sur lui, le matin encore.

— Voyons, mon cher collègue, il faut en finir, il faut faire cesser cette scandaleuse campagne… D’ailleurs, vous vous doutez bien de ce qui nous attend demain à la Chambre. Maintenant que voilà la fameuse liste publiée, nous allons avoir sur les bras tous les mécontents. Vignon s’agite…

— Ah ! vous avez des nouvelles de Vignon ? demanda Monferrand, devenu très attentif.

— Sans doute, en passant, je viens de voir une file de fiacres à sa porte. Toutes ses créatures sont en branle depuis hier, et vingt personnes m’ont dit que la bande se partageait déjà les portefeuilles. Car vous vous doutez bien que l’ingénu et farouche Mège va tirer une fois de plus les marrons du feu. Enfin, nous sommes morts, on a la prétention de nous enterrer dans la boue, avant de se disputer nos dépouilles.

Il eut un geste théâtral, le bras tendu, et sa voix sonna éloquemment, comme s’il se trouvait à la tribune. Son émotion était réelle pourtant, des larmes montaient à ses yeux.

— Moi, moi ! qui ai donné ma vie entière à la république, qui l’ai fondée, qui l’ai sauvée, me voir ainsi