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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/302

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estimant avec raison que c’était là un argent de ruine contre la république ; de sorte que, cédant à ses instances, je dressai moi aussi une liste, disposant des fameux deux cent mille francs pour des journaux républicains, des journaux amis, qui ont touché par mon entremise, c’est vrai… Voilà l’histoire.

Il se leva, se frappa la poitrine du poing, tandis que sa voix se haussait encore.

— Eh bien ! j’en ai assez, des calomnies et des mensonges… Cette histoire, je vais demain la conter tout simplement à la Chambre. Ce sera ma seule défense. Un honnête homme ne craint pas la vérité.

À son tour, Monferrand s’était levé, dans un cri, où il se confessait tout entier.

— C’est idiot, jamais on n’avoue, vous ne ferez pas ça !

Mais Barroux s’entêta, superbe.

— Je le ferai. Nous verrons bien si la Chambre, par acclamation, n’absoudra pas un vieux serviteur de la liberté.

— Non ! vous tomberez sous les huées, et vous nous entraînerez tous avec vous.

— Qu’importe ? nous tomberons, dignement, honnêtement !

Monferrand eut un geste de furieuse colère. Puis, tout d’un coup, il se calma. Une brusque lueur venait de jaillir, dans l’anxieuse confusion, où il se débattait depuis le matin ; et tout s’éclairait, le plan encore vague qu’avait fait naître en lui l’arrestation prochaine de Salvat, se complétait, s’élargissait en une combinaison audacieuse. Pourquoi donc aurait-il empêché la chute de ce grand innocent de Barroux ? L’unique chose d’importance était de ne pas tomber avec lui, ou du moins de se rattraper. Il se tut, il ne mâcha plus que des mots sourds, où sa révolte semblait s’user. Et, enfin, de son air de bonhomie bourrue :