Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/303

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— Mon Dieu ! après tout, vous avez peut-être raison. Il faut être brave. Et d’ailleurs, mon cher président, vous êtes notre chef, nous vous suivrons.

Les deux hommes s’étaient rassis face à face, et la conversation continua, ils achevèrent de se mettre cordialement d’accord sur l’attitude du ministère, en vue de l’interpellation certaine du lendemain.

Cette nuit-là, le baron Duvillard n’avait guère dormi. Laissé à sa porte par Gérard, il s’était couché violemment, en homme qui veut commander au sommeil, afin d’oublier et de se reprendre. Mais le sommeil n’était point venu, il l’avait cherché pendant de longues heures, brûlé d’insomnie, la chair en feu sous l’affront de Silviane. Comme il l’avait crié, c’était monstrueux, cela ! cette fille, enrichie, comblée, le souffletant de cette boue, lui le maître, qui se flattait d’avoir mis Paris et la république dans sa poche, qui disposait des consciences comme un marchand accapare les laines ou les cuirs, pour un coup de Bourse ! Et la sourde conscience que Silviane était sa tare vengeresse, sa pourriture, à lui le pourrisseur, achevait de l’exaspérer. Vainement, il voulait chasser cette hantise, se rappeler ses affaires, ses rendez-vous du lendemain, les millions qu’il brassait aux quatre coins du monde, la toute-puissance de l’argent qui mettait entre ses mains le sort des peuples. Toujours, et malgré tout, Silviane renaissait, l’éclaboussait de son vice. Il tâcha de se raccrocher désespérément à la grande affaire qu’il préparait depuis des mois, le fameux Chemin de fer transsaharien, une colossale entreprise qui remuerait les milliards et changerait la face de la terre. Et Silviane reparut encore, le gifla sur les deux joues, de sa petite main trempée dans le ruisseau. Vers la pointe du jour, cependant, il finit par s’assoupir, en refaisant le furieux serment de ne jamais la revoir, de la repousser du pied, même si elle venait se traîner à ses genoux.