Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/68

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qu’il avait un instant rêvé d’écrire, sous le titre de « Députés à vendre ». Les naïfs tombés dans la cuve, les exaspérés d’ambition, les âmes basses cédant à la tentation des tiroirs ouverts, les brasseurs d’affaires se grisant et perdant pied, à remuer de gros chiffres. Mais il reconnaissait volontiers qu’ils étaient relativement peu nombreux et que ces quelques brebis galeuses se retrouvaient dans tous les parlements du monde. Le nom de Sanier revint encore, il n’y avait que Sanier pour faire de nos Chambres des cavernes de voleurs.

Et Pierre, surtout, s’intéressait à la tourmente que la menace d’une crise ministérielle soulevait devant lui. Autour de Barroux et de Monferrand, il n’y avait pas que les Dutheil, que les Chaigneux, pâles de sentir le sol trembler, se demandant s’ils n’iraient pas coucher le soir à Mazas. Tous leurs clients étaient là, tous ceux qui tenaient d’eux l’influence, les places, et qui allaient s’effondrer, disparaître dans leur chute. Aussi fallait-il voir l’anxiété des regards, l’attente livide des figures, au milieu des conversations chuchotantes, des renseignements et des commérages qui couraient. Puis, dans le groupe d’à côté, autour de Vignon très calme, souriant, c’était l’autre clientèle, celle qui attendait de monter à l’assaut du pouvoir, pour tenir enfin l’influence, les places. Les yeux y luisaient de convoitise, on y lisait une joie encore à l’état d’espérance, une surprise heureuse de l’occasion brusque qui se présentait. Aux questions trop directes de ses amis, Vignon évitait de répondre, affirmait seulement qu’il n’interviendrait pas. Et son plan était évidemment de laisser Mège interpeller, renverser le ministère, car il ne le craignait pas, et il n’aurait ensuite, croyait-il, qu’à ramasser les portefeuilles tombés.

— Ah ! Monferrand, disait le petit Massot, en voilà un gaillard qui prend le vent ! Je l’ai connu anticlérical, mangeant du prêtre, monsieur l’abbé, si vous me permettez