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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/255

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s’y installait, y travaillait à quelque ouvrage de couture, en toute bonhomie. Sa chaise était bien là, il vit même sur une table le linge qu’elle y avait laissé ; mais elle s’en était allée sans doute, il se permit de pénétrer dans le premier salon. Il y faisait presque nuit déjà, le crépuscule s’y éteignait avec une douceur mourante, et le prêtre resta saisi, n’osa plus avancer, en entendant venir du salon voisin, le grand salon jaune, un bruit de voix éperdues, des froissements, des heurts, toute une lutte. C’étaient des supplications ardentes, puis des grondements dévorateurs. Et, brusquement, il n’hésita plus, il fut emporté comme malgré lui, par cette certitude que quelqu’un se défendait, dans cette pièce, et allait succomber.

Quand il se précipita, ce fut une stupeur. Dario était là, fou, lâché en une sauvagerie de désir où reparaissait tout le sang effréné des Boccanera, dans son épuisement élégant de fin de race ; et il tenait Benedetta aux épaules, il l’avait renversée sur un canapé, la violentant, la voulant, lui brûlant la face de ses paroles.

— Pour l’amour de Dieu, chérie… Pour l’amour de Dieu, si tu ne souhaites pas que je meure et que tu meures… Puisque tu le dis toi-même, puisque c’est fini, que jamais ce mariage ne sera cassé, oh ! ne soyons pas malheureux davantage, aime-moi comme tu m’aimes, et laisse-moi t’aimer, laisse-moi t’aimer !

Mais, de ses deux bras tendus, pleurante, avec une face de tendresse et de souffrance indicibles, la contessina le repoussait, pleine elle aussi d’une énergie farouche, en répétant :

— Non, non ! je t’aime, je ne veux pas, je ne veux pas !

À ce moment, dans son grondement désespéré, Dario eut la sensation que quelqu’un entrait. Il se releva violemment, regarda Pierre d’un air de démence hébétée, sans même le bien reconnaître. Puis, il passa les deux mains sur son visage, les joues ruisselantes, les yeux