Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/277

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qui devenaient ouvertement les bienfaiteurs de la papauté, les caisses indispensables où elle puisait sa vie. Les petits et les humbles, dont l’obole emplissait le tronc, étaient comme supprimés ; c’étaient des intermédiaires, des hauts seigneurs séculiers ou réguliers, que dépendait le pape, forcé dès lors de les ménager, d’écouter leurs remontrances, d’obéir parfois à leurs passions, s’il ne voulait voir se tarir les aumônes. Allégé du poids mort du pouvoir temporel, il n’était tout de même pas libre, tributaire de son clergé, ayant à tenir compte autour de lui de trop d’intérêts et d’appétits, pour être le maître hautain, pur, tout âme, le maître capable de sauver le monde. Et Pierre se rappelait la Grotte de Lourdes dans les jardins, la bannière de Lourdes qu’il venait de voir, et il savait que les pères de Lourdes prélevaient, chaque année, une somme de deux cent mille francs sur les recettes de leur Vierge, pour les envoyer en cadeau au Saint-Père. N’était-ce pas la grande raison de leur toute-puissance ? Il frémit, il eut la brusque conscience que, malgré sa présence à Rome, malgré l’appui du cardinal Bergerot, il serait battu et son livre condamné.

Enfin, comme il débouchait sur la place Saint-Pierre, dans la bousculade dernière des pèlerins, il entendit Narcisse qui demandait :

— Vraiment, vous croyez que les dons, aujourd’hui, ont dépassé ce chiffre ?

— Oh ! plus de trois millions, j’en suis convaincu, répondit monsignor Nani.

Tous trois s’arrêtèrent un moment sous la colonnade de droite, regardant l’immense place ensoleillée, où les trois mille pèlerins se répandaient, petites taches noires, foule agitée, telle qu’une fourmilière en révolution.

Trois millions ! ce chiffre avait sonné aux oreilles de Pierre. Et il leva la tête, il regarda, de l’autre côté de la place, les façades du Vatican, toutes dorées dans le