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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/310

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— Vous savez, Dario, qu’elle vous aime. Il ne faut pas être méchant.

Sans doute Dario pensait comme elle, car il regarda de nouveau Benedetta, avec un hochement gai de la tête, pour dire que, s’il était aimé, lui n’aimait pas. Une perlière, une fille du bas peuple, ah ! non ! Elle pouvait être une Vénus, elle n’était pas une maîtresse possible. Et il s’amusa beaucoup lui-même de l’aventure romanesque, que Narcisse arrangeait, en un sonnet à la mode ancienne : la belle perlière tombant amoureuse folle du jeune prince qui passe, beau comme le jour, et qui lui a donné un écu, touché de son infortune ; la belle perlière, dès lors, le cœur bouleversé de le trouver aussi charitable que beau, ne rêvant plus que de lui, le suivant partout, attachée à ses pas par un lien de flamme ; et la belle perlière, enfin, qui a refusé l’écu, demandant de ses yeux soumis et tendres, obtenant l’aumône que le jeune prince daigne un soir lui faire de son cœur. Benedetta se plut beaucoup à ce jeu. Mais Celia, avec sa face angélique, son air de petite fille qui aurait dû tout ignorer, restait très sérieuse, répétait tristement :

— Dario, Dario, elle vous aime, il ne faut pas la faire souffrir.

Alors, la contessina finit par s’apitoyer à son tour.

— Et ils ne sont pas heureux, ces pauvres gens !

— Oh ! s’écria le prince, une misère à ne pas croire ! Le jour où elle m’a mené là-bas, aux Prés du Château, j’en suis resté suffoqué. C’est une horreur, une horreur étonnante !

— Mais je me souviens, reprit-elle, nous avions fait le projet d’aller les visiter, ces malheureux, et c’est fort mal d’avoir tardé jusqu’ici… N’est-ce pas ? monsieur l’abbé Froment, vous étiez très désireux, pour vos études, de nous accompagner et de voir ainsi de près la classe pauvre à Rome.

Elle avait levé les yeux vers Pierre, qui se taisait depuis