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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/316

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que des terrains, achetés cinq francs le mètre, se revendaient cent francs ; et la fièvre s’alluma, la fièvre de tout un peuple que le jeu passionne. Un vol de spéculateurs, venus de la haute Italie, s’était abattu sur Rome, la plus noble et la plus facile des proies. Pour ces montagnards, pauvres, affamés, la curée des appétits commence, dans ce Midi voluptueux, où la vie est si douce ; de sorte que les délices du climat, elles-mêmes corruptrices, activèrent la décomposition morale. Puis, il n’y avait vraiment qu’à se baisser, les écus d’abord se ramassèrent à la pelle, parmi les décombres des premiers quartiers qu’on éventra. Les gens adroits, qui, flairant le tracé des voies nouvelles, s’étaient rendus acquéreurs des immeubles menacés d’expropriation, décuplèrent leurs fonds en moins de deux ans. Alors, la contagion grandit, empoisonna la ville entière, de proche en proche ; les habitants à leur tour furent emportés, toutes les classes entrèrent en folie, les princes, les bourgeois, les petits propriétaires, jusqu’aux boutiquiers, les boulangers, les épiciers les cordonniers ; à ce point qu’on cita plus tard un simple boulanger qui fit une faillite de quarante-cinq millions. Et ce n’était plus que le jeu exaspéré, un jeu formidable dont la fièvre avait remplacé le petit train réglementé du loto papal, un jeu à coups de millions où les terrains et les bâtisses devenaient fictifs, de simples prétextes à des opérations de Bourse. Le vieil orgueil atavique qui avait rêvé de transformer Rome en capitale du monde, s’exalta ainsi jusqu’à la démence, sous cette fièvre chaude de la spéculation, achetant des terrains, bâtissant des maisons pour les revendre, sans mesure, sans arrêt, de même qu’on lance des actions, tant que les presses veulent bien en imprimer.

Certainement, jamais ville en évolution n’a donné pareil spectacle. Aujourd’hui, lorsqu’on tâche de comprendre, on reste confondu. Le chiffre de la population avait dépassé quatre cent mille, et il semblait rester stationnaire ;