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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/317

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mais cela n’empêchait pas la végétation des quartiers neufs de sortir du sol, toujours plus drue. Pour quel peuple futur bâtissait-on avec cette sorte de rage ? Par quelle aberration en arrivait-on à ne pas attendre les habitants, à préparer ainsi des milliers de logements aux familles de demain, qui viendraient peut-être ? La seule excuse était de s’être dit, d’avoir posé à l’avance, comme une vérité indiscutable, que la troisième Rome, la capitale triomphante de l’Italie, ne pouvait avoir moins d’un million d’âmes. Elles n’étaient pas venues, mais elles allaient venir sûrement : aucun patriote n’en pouvait douter, sans crime de lèse-patrie. Et on bâtissait, on bâtissait, on bâtissait sans relâche, pour les cinq cent mille citoyens en route. On ne s’inquiétait même plus du jour de leur arrivée, il suffisait que l’on comptât sur eux. Encore, dans Rome, les Sociétés qui s’étaient formées pour la construction des grandes voies, au travers des vieux quartiers malsains abattus, vendaient ou louaient leurs immeubles, réalisaient de gros bénéfices. Seulement, à mesure que la folie croissait, pour satisfaire à la fringale du lucre, d’autres sociétés se créèrent, dans le but d’élever, hors de Rome, des quartiers encore, des quartiers toujours, de véritables petites villes, dont on n’avait nul besoin. À la porte Saint-Jean, à la porte Saint-Laurent, des faubourgs poussèrent comme par miracle. Sur les immenses terrains de la villa Ludovisi, de la porte Salaria à la porte Pia, jusqu’à Sainte-Agnès, une ébauche de ville fut commencée. Enfin, aux Prés du Château, ce fut toute une cité qu’on voulut d’un coup faire naître du sol, avec son église, son école, son marché. Et il ne s’agissait pas de petites maisons ouvrières, de logements modestes pour le menu peuple et les employés, il s’agissait de bâtisses colossales, de vrais palais à trois et quatre étages, développant des façades uniformes et démesurées, qui faisaient de ces nouveaux quartiers excentriques des quartiers babyloniens, que des capitales de vie intense et