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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/319

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¾sans pareille, pour deux raisons. D’abord, les maisons bâties par les Sociétés étaient des morceaux trop gros, d’un achat difficile, devant lesquels reculait la foule des rentiers moyens, désireux de placer leur argent dans le foncier. L’atavisme avait agi, les constructeurs avaient vu trop grand, une série de palais magnifiques, destinés à écraser ceux des autres âges, et qui allaient rester mornes et déserts, comme un des témoignages les plus inouïs de l’orgueil impuissant. Il ne se rencontra donc pas de capitaux particuliers qui osassent ou qui pussent se substituer à ceux des Sociétés. Ensuite, ailleurs, à Paris, à Berlin, les quartiers neufs, les embellissements se sont faits avec des capitaux nationaux, avec l’argent de l’épargne. Au contraire, à Rome, tout s’est bâti avec du crédit, des lettres de change à trois mois, et surtout avec de l’argent étranger. On estime à près d’un milliard l’énorme somme engloutie, dont les quatre cinquièmes étaient de l’argent français. Cela se faisait simplement de banquiers à banquiers, les banquiers français prêtant à trois et demi ou quatre pour cent aux banquiers italiens, qui de leur côté prêtaient aux spéculateurs, aux constructeurs de Rome, à six, sept et même huit pour cent. Aussi s’imagine-t-on le désastre, lorsque la France, que fâchait l’alliance de l’Italie avec l’Allemagne, retira ses huit cents millions en moins de deux ans. Un immense reflux se produisit, vidant les banques italiennes ; et les Sociétés foncières, toutes celles qui spéculaient sur les terrains et les constructions, forcées de rembourser à leur tour, durent s’adresser aux Sociétés d’émission, celles qui avaient la faculté d’émettre du papier. En même temps, elles intimidèrent l’État, elles le menacèrent d’arrêter les travaux et de mettre sur le pavé de Rome quarante mille ouvriers sans ouvrage, s’il n’obligeait pas les Sociétés d’émission à leur prêter les cinq ou six millions de papier dont elles avaient besoin, ce que l’État finit par faire, épouvanté à l’idée d’une faillite générale. Naturellement,