Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/343

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vieille maîtresse la misère, sans un sou et grand seigneur.

Pierre, surtout, était frappé des caractères différents de la misère, à Paris et à Rome. Certes, ici, le dénuement était plus absolu, la nourriture plus immonde, la saleté plus repoussante. Pourquoi donc ces effroyables pauvres gardaient-ils plus d’aisance et de gaieté réelle ? Lorsqu’il évoquait un hiver de Paris, les bouges qu’il avait tant visités, où la neige entrait, où grelottaient des familles sans feu et sans pain, il se sentait le cœur éperdu d’une compassion, qu’il ne venait pas d’éprouver si vive, aux Prés du Château. Et il comprit enfin : la misère, à Rome, était une misère qui n’avait pas froid. Ah ! oui, quelle douce et éternelle consolation, un soleil toujours clair, un ciel bienfaisant qui restait bleu sans cesse, par bonté pour les misérables ! Qu’importait l’abomination du logis, si l’on pouvait dormir dehors, dans la caresse du vent tiède ! Qu’importait même la faim, si la famille attendait l’aubaine du hasard, par les rues ensoleillées, au travers des herbes sèches ! Le climat rendait sobre, aucun besoin d’alcool ni de viandes rouges pour affronter les brouillards. La divine fainéantise riait aux soirées d’or, la pauvreté devenait une jouissance libre, dans cet air délicieux, où semblait suffire à la créature le bonheur de vivre. À Naples, comme le racontait Narcisse, dans ces quartiers du port et de Sainte-Lucie, aux rues étroites, nauséabondes, pavoisées de linges en train de sécher, la vie entière du peuple se passait dehors. Les femmes et les enfants qui n’étaient pas en bas, dans la rue, vivaient sur les légers balcons de bois, suspendus à toutes les fenêtres. On y cousait, on y chantait, on s’y débarbouillait. Mais la rue, surtout, était la salle commune, des hommes qui achevaient de passer leur culotte, des femmes demi-nues qui pouillaient leurs enfants et qui s’y peignaient elles-mêmes, une population d’affamés dont le couvert s’y trouvait toujours mis. C’était sur de petites tables, dans des voitures, un continuel marché de mangeailles à bas prix,